approche

Les mots des gens
Chaque personne produit des récits qui, bien qu’enchâssés dans la gangue des langues, codes, conventions, révèlent son intimité par l’usage singulier qu’il-elle en fait. Et de cette intimité surgit un univers entier, un univers rêvé qui se superpose aux univers des autres, y répond en écho, les frôle… ou les heurte.
Ainsi, par nos discours les plus officiels et nos murmures les plus secrets, nous rebâtissons le Jardin d’Eden. Nous le faisons aussi en clôturant notre propriété, en décorant notre maison, en choisissant nos habits ou les papiers et tissus qui recouvrent nos murs et nos lits. Et ce faisant, nous tendons le doigt vers le mystère de l’existence terrestre.

Secret de notre jardin. Secret des papiers peints sur les murs intérieurs de notre maison. Secret du tissu sur nos corps. Et simultanément, bavardage. Des dessins et motifs sur nos tissus et papiers peints, de la « déco » dans nos intérieurs, des aménagements devant nos maisons.

Intimité de la parole. Publicité de la parole. Même quand elle soliloque, la parole est politique, dans le sens où elle organise le monde.

Mes rencontres
Mon rapport au monde est intense : chaque banal instant de mes journées m’apparaît, comme une expérience forte, et chaque expérience est l’expérience d’une rencontre. Ainsi, quand travaillant au jardin potager, je découvre un petit scarabée doré rayé de rouge, ou même une simple sauterelle, quand en voiture je traverse des paysages, même ordinaires, ou quand au supermarché j’échange quelques mots avec la caissière ou un autre client, je fais l’expérience d’une rencontre.

Or, chaque rencontre m’éblouit en déployant en moi une multitude de sentiments, d’images, de souvenirs, d’idées, d’émotions, de sensations, qui s’entremêlent et créent de nouveaux mondes imaginés, souvent somptueux, souvent inquiétants. Ce sont comme des impressions qui se recouvrent plus ou moins, se masquent ou se révèlent entre elles.

Chacune de mes rencontres est aussi la rencontre avec une intimité, au sens où les mots et les gestes, les paysages, les sons et les odeurs, éclipsant l’anecdotique, le banal, révèlent une forme de nudité, de vérité crue. Il y a quelque chose de magique, à toucher cette intimité, cette raison suprême que chacun porte en soi.

Mes recherches artistiques
L’ensemble de mon travail artistique est marqué par mes rencontres et les sentiments qu’elles suscitent. Depuis 25 ans, avec un grand appétit, comme par nécessité, je provoque des rencontres et en garde l’empreinte. J’enregistre les conversations, je note mes impressions, je photographie les paysages.

La puissance de ces impressions est telle que je ne peux pas les assimiler à ma conscience. Elles restent entières et se superposent les unes les autres.

Lorsque j’en rends compte, comme les rencontres s’impriment chez moi les unes sur les autres, j’imprime les mots et les images par-dessus d’autres mots et d’autres images, par citations, samples et surimpressions. J’œuvre par systèmes d’impressions, au sens de : « procédés de reproduction assurant le report de signes d’un support sur un autre » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales). J’expérimente ainsi le dessin, l’imprimante, le tampon, le transfert, la sérigraphie, la broderie, la photographie, le pochoir, la cyanographie. Mes supports sont divers mais j’affectionne particulièrement le papier-peint et le tissu, en ce qu’ils sont tous les deux témoins de nos intimités, l’un, collé sur les murs de nos intérieurs, l’autre en contact direct avec nos peaux.
Ces rencontres, ces apparitions m’impressionnent dans les moments les plus ordinaires de mes journées. Ainsi, je représente des paysages ordinaires, du quotidien et je retranscris des paroles anonymes, souvent anodines.

Vivre dans le regret des trente glorieuses
Le rapport que nous entretenons avec notre environnement, avec les objets qui nous entourent est fortement marqué par les trente glorieuses. D’une certaine manière nous y vivons encore, nous berçant de l’illusion d’un progrès infini et salutaire, et nous continuons à vouer un culte insensé aux objets techniques. Mais le cœur n’y est plus, ni le soin mis à la fabrication des objets, notre quotidien n’étant plus tant en prise avec la matière qu’avec l’image symbolique. Par exemple, les maisons individuelles contemporaines continuent à glorifier la singularité et à exhiber la richesse du nouveau propriétaire. Les modèles de pavillons sont de véritables contrefaçons de châteaux ou de manoirs. Mais la duperie ne prend pas : les colonnades sont grossières, les matériaux pauvres, vieillissant vite et mal, l’espace avare, le style ridicule. Ce continuum dégradé entre les folles années d’après-guerre et notre inquiétant 21e siècle transparaît dans mes modes d’expression.
Ainsi, si je travaille beaucoup les papiers-peints, ce n’est pas seulement parce qu’ils voient nos intimités se déployer et impressionner leur surface, ni seulement parce que leurs motifs racontent déjà une histoire, mais sans doute aussi parce que c’est un matériau qui traverse les époques et en reflète les rêves, se teintant de nostalgie tout en gardant une forme de permanence.

Enfin, de la même manière que je provoque des rencontres avec des personnes, j’aime provoquer d’autres types de rencontres, avec la matière notamment, donc avec de nouvelles techniques que j’expérimente avec soif. Je fabrique donc l’ensemble de mes objets artistiques.

 En quelques mots
Architecte et urbaniste de formation, j’ai toujours pratiqué les arts plastiques pour m’y consacrer entièrement il y a quinze ans, ayant avant cela travaillé sur des projets urbains avec une approche sensible et artistique. Je vis et travaille dans la belle campagne de Châteaubriant, au nord du département de Loire-Atlantique.